
Née à Safi et originaire d’Agadir, l’artiste marocaine Zahira Tigtate s’impose depuis plusieurs années comme l’une des voix picturales les plus sensibles de la culture amazighe. Son travail met en lumière la vie quotidienne, la mémoire et la résilience des femmes amazighes. Un art vibrant, enraciné dans le réel, qui fait de la peinture un outil de transmission culturelle.
– Très attachée à la culture Amazigh, vous utilisez avec talent, pinceaux et couleurs pour mettre en lumière cette culture dans toutes ses formes. Comment est née cette passion pour la peinture ?
Zahira Tigtate : Enfant, j’ai toujours aimé dessiner et peindre mais à l’école, nous n’avions pas d’enseignement artistique. J’ai poursuivi des études de littérature, enseigné dans une école mais les couleurs, les dessins et la peinture sont toujours restés encrés au fond de moi.
Lorsque j’ai cessé d’enseigner, j’ai pu me consacrerpleinement au dessin et à la peinture. J’ai pris des cours, j’ai créé ma propre empreinte, mon propre style. J’ai pu enfin exprimer tout ce qui était enfoui au fond de moi depuis des années.
– Vos peintures se concentrent essentiellement sur le thème de la femme Amazighe. Vous dites souvent, mes tableaux sont une manière de dire à propos des femmes Amazighe : regardez-les, écoutez-les, reconnaissez-les !
Zahira Tigtate : J’ai grandi dans un environnement où la culture amazighe, ses couleurs, ses rythmes, ses gestes, étaient omniprésents. Cela a nourri ma sensibilité artistique. J’ai commencé à peindre en puisant dans ce qui avait constitué mon quotidien dans l’enfance : les femmes, les scènes du quotidien, les marchés, les fêtes traditionnelles.
La femme amazighe est une figure fondatrice de notre culture, elle en est le pilier central. Ce sont elles qui transmettent la langue, les rites, les coutumes, les savoir-faire. Elles chantent la vie quotidienne des femmes. Elles sont les gardiennes d’une mémoire vivante. À travers mes peintures, je veux rendre hommage à leur force, leur dignité et leur rôle essentiel dans la société.
– Peut-on dire que votre peinture est engagée ?
Zahira Tigtate — Elle l’est, mais d’une manière douce. Je n’utilise pas des slogans, je montre des vies, des scènes de vie quotidienne, de nos traditions. En peignant des femmes amazighes dans leurs gestes quotidiens — tisser, porter l’eau, enseigner, célébrer — je valorise des existences que l’histoire a souvent ignorées. Ma peinture est une forme de résistance culturelle.
– Vos œuvres semblent raconter à la fois la vie quotidienne et une mémoire collective de la culture Amazighe. La peinture peut-elle transmettre l’histoire ?
Zahira Tigtate — Absolument. Dans la culture amazighe, la mémoire est largement orale. La peinture permet de fixer ce qui disparaît, ce qui n’est pas écrit : un rituel, un vêtement, un tatouage, une scène rurale. C’est une archive visuelle. Je veux que mes tableaux témoignent de ce que nous sommes, mais aussi de ce que nous avons été, car certaines traditions ont disparu. C’est la raison pour laquelle mes tableaux sont très détaillés ; on dit souvent que ma peinture est « naïve » au sens pictural : je l’assume, ma peinture doit être à la portée de tous.
La société s’est considérablement modernisée et certaines coutumes ont tendance à disparaître. A travers mes peintures, je continue à faire vivre les traditions Amazighes et j’espère les transmettre aux nouvelles générations. Je souhaite également la faire découvrir à celles et ceux qui ne connaissent pas notre culture si joyeuse, si colorée, si moderne puisqu’elle place la femme au centre de notre société. Aujourd’hui, ma peinture est toujours profondément ancrée dans cette mémoire.
Des expositions au Maroc comme à l’étranger, notamment en Espagne, au Canada, et aujourd’hui à Drancy, permettent de faire connaître l’univers de la culture Amazighe à un public élargi.
Je fais en sorte que mon œuvre soit perçue comme un pont entre les générations : un art qui regarde le passé pour mieux parler du présent, un art qui fait exister la mémoire amazighe dans l’espace contemporain.
– Non seulement vous peignez, mais vous réalisez des ateliers de dessins et de peinture pour les enfants. C’est important pour vous ?
Zahira Tigtate : L’art est un extraordinaire moyen d’expression tant pour les enfants que pour les adultes. J’aime apprendre à dessiner, à peindre, à faire en sorte que les personnes puissent exprimer ce qu’ils ressentent au fond d’eux. Mon rêve serait de créer une école d’art, en appliquant mes propres méthodes, en transmettant tel que je suis, tel que je le ressens. Il y a encore beaucoup à réaliser !